JE SUIS JÉSUS

 

 

L'homme m'intriguait...

J'ignorais depuis quand, mais chaque jour de la semaine, quand le temps était clément, il venait s'asseoir sur un banc, dans le parc juste en face de chez moi. Toujours le même banc, s'il était libre, en face des parterres de fleurs avec la vue sur la fontaine. Si le banc était déjà occupé, il s'asseyait plus loin, mais c'était rare, car c'était toujours lui le premier arrivé et le dernier parti.

Il s'asseyait sur un côté du banc, posait sa petite pancarte au milieu et attendait en espérant que quelqu'un vienne s'asseoir à ses côtés, sur l'autre côté du banc, pour discuter avec lui. Sur sa pancarte, on pouvait juste lire, en belle écriture manuscrite : Je suis Jésus !

Bon, vous pensez comme moi, c'est rare comme prénom, mais ça existe. Pourquoi pas ? Seulement, je l'avais un peu observé de loin à chaque fois que je devais passer par le parc, et il semblait ne pas avoir beaucoup de succès. Je voyais souvent des personnes l'aborder, mais à chaque fois cela ne durait que quelques secondes, et je voyais toujours le ou la curieuse poursuivre son chemin en rigolant, parfois même en se moquant de lui. Lui restait toujours stoïque, calme, avec un grand sourire, saluant la personne qui s'éloignait.

Lorsque personne ne l'abordait, il restait tranquille sur son banc, observant son environnement (fleurs, arbres, oiseaux, enfants jouant plus loin...) sans jamais se lasser, semblant être totalement comblé par l'instant présent. Ce n'était pas un mendiant, ni un sans abri, il était toujours habillé simplement mais de façon harmonieuse et propre. Il n'agressait jamais les gens qui passaient devant lui, se contentant de les saluer par un bonjour souriant, mais, étant de nature timide voire craintive, je m'arrangeais toujours pour ne pas passer devant lui en traversant le parc. Jusqu'à ce jour...

Ce jour-là de fin décembre, perdu dans mes pensées, je ne pensais plus du tout à lui. Je marchais tête basse, en mode pilote automatique... enfin pas tout à fait, car sinon j'aurais pris comme d'habitude le chemin qui me faisait l'éviter ! Cela dit, ce chemin me faisait toujours faire un détour, donc je suppose que là, mon GPS intérieur, non censuré par mon mental, en avait profité pour me faire aller au plus court.

Quoi qu'il en soit, je fus surpris par son « Bonjour ! », qui me fit sortir de mes pensées et m'arrêter net. Quittant du regard le gravier à mes pieds, je relevai la tête et me tournai vers lui. « Oh ces yeux ! » Il avait de magnifiques yeux bleus rayonnants... Et ce regard ! À la fois si doux et bienveillant ! J'ai dû paraître bête, car, fasciné par son regard, j'ai bien dû rester bouche bée devant lui plusieurs secondes, avant de balbutier un timide bonjour.

Il me regardait toujours en souriant, attendant que j'entame la conversation, comme s'il ne voulait pas m'influencer.

Bêtement, je lui dis :

– Alors, vous êtes Jésus ?

– Oui, me répondit-il doucement, toujours avec ce sourire bienveillant désarmant.

Comme dans un état second, sans réfléchir, je m'entendis dire :

– Dommage que vous ne soyez pas le vrai Jésus !

– Qui vous dit que je ne le suis pas ?

Je restai stupéfait ! Partagé entre une envie de rigoler et de poursuivre mon chemin avec un « ben voyons ! » et... quelque chose de bizarre en moi qui venait de s'activer, que je n'arrivais pas à définir mais qui m'empêchait de partir.

– Si j'étais le vrai Jésus auquel vous pensez, qu'auriez-vous envie de me dire ou de me demander ?

Je le fixai longuement. Toujours cette bienveillance, cet... amour, oui, qui se dégageait de lui. Il n'avait pas l'air d'un fou !

Même mon mental s'y (sou)mettait ! « Tu as fini ta journée, tu as besoin de te détendre, amuse-toi un moment avec lui ! » Alors je m'assis sur le banc à côté de lui.

– Crois-tu en mon message d'amour ? me demanda-t-il alors.

Pour simplifier l'échange, je décidai de rentrer dans son jeu et de lui parler comme s'il était vraiment Jésus, histoire de mieux le confondre. Je me surpris alors à le tutoyer moi aussi en retour, comme si c'était un vieil ami.

– Je sais que tu as bien existé, personne ne le nie historiquement aujourd'hui. Tu étais, oui, un homme de paix et d'amour, injustement traité (c'est un euphémisme !) par l'humanité que tu voulais aider. Mais ce qu'on a fait de ton message, la religion, l'Église , tout cela... je t'avoue que cela ne m'a pas donné envie d'approfondir plus avant.

– Suis-je responsable de cela ? Les plus zélés partisans d'une cause n'en sont-ils pas toujours ses pires ennemis ?

– Oui, c'est vrai. Tu as raison.

– Et pourtant, je sens que tu jettes le petit Jésus avec l'eau de son bain.

J'éclatai de rire !

Il poursuivit :

– As-tu lu les quatre Évangiles du Nouveau Testament ? Attention, ce sont des témoignages humains, retranscrits des décennies plus tard après des années de bouche à oreille, donc qu'il ne faut pas prendre comme « parole d'évangile », me dit-il avec un grand sourire. Tu dois là, comme pour tout, ressentir intuitivement et exercer ton discernement, mais si tu oublies la fleur et ne gardes que le parfum, tu pourrais être surpris de ce qui va résonner en toi.

– J'avoue que je ne connais de toi que ce que j'en connais vaguement, par l'église catholique, lors des quelques messes obligées auxquelles j'ai dû assister...

– Et qu'en penses-tu ?

Je lâchai un profond soupir de dépit.

– Ce qui me gêne, c'est toujours le verbiage ampoulé, le manque de naturel et de simplicité, tout ce mysticisme du culte qui me rebute, ces dogmes insensés...

Il m'écoutait attentivement.

– Franchement, continuai-je, qui peut croire que tu as été conçu par « l'opération du Saint Esprit », sans père terrestre, et donc, pour tout dire, sans relation sexuelle préalable ?

J'avais dit cela en pensant lui porter un coup fatal, mais à ma grande surprise, son regard s'éclaira encore davantage et son doux sourire aussi. Il semblait ravi de mes paroles. Cela m'encouragea à continuer :

– As-tu eu un père ? Un vrai père terrestre, je veux dire...

– Bien évidemment, répondit-il. Il ne pouvait en être autrement. C'est le seul et unique moyen pour s'incarner sur Terre. Depuis toujours et pour toujours. Personne ne peut aller contre les lois de la vie que sont les lois de la nature, et je devais m'y conformer moi aussi. Marie a donc bien eu des relations sexuelles avec un homme pour pouvoir me mettre au monde. Elle n'en était pas moins « la vierge Marie » avant cela, car j'étais son premier enfant... mais uniquement avant !

– Certains chrétiens crieraient au blasphème pour ce que tu dis là.

– Oui, et ils iraient sûrement jusqu'à chercher à me crucifier d'une façon ou d'une autre pour cela, non ? Comme l'ont fait d'autres pharisiens il y a deux mille ans.

Je hochai de la tête.

– Ah, tous ces intégristes qui croient parler et agir en mon nom ou au Nom de Dieu... S'ils savaient ! Le véritable blasphème, c'est de ne pas accorder à Dieu l'honneur de la Perfection. Si Dieu doit exister, Il est Parfait, par définition. Mieux vaut ne pas croire en Lui sinon, tu ne penses pas ?

– Oui, personnellement je suis d'accord avec ça.

– Or si Dieu est Parfait, Sa Volonté est parfaite, et l'expression de Sa Volonté, à savoir les Lois divines qui régissent la Création sont parfaites aussi, de toute éternité. Donc immuables. Intangibles. Sinon elles ne seraient pas parfaites. Dieu ne pouvait donc pas les abolir, même rien que pour moi ! Et de mon côté, je devais absolument m'y conformer également.

– C'est très scientifique, cette vision... ça me plaît bien !

– Eh oui. Ces Lois divines, tu peux les appeler « Lois de la Vie » ou « Lois de la Nature » si tu préfères, c'est exactement la même chose ! Au niveau terrestre, les lois physiques mises en évidence par la science sont-elles variables ? La science n'aurait pas de raison d'être si tel était le cas, car il n'y aurait rien de reproductible, donc rien à étudier !

- Oui, bien sûr. En plus, il y a toujours eu quelque chose qui me paraissait saugrenu : si Dieu pouvait te faire naître sans père, pourquoi ne pas te faire naître sans mère aussi, à ce compte-là ? Pourquoi n'étais-tu pas né directement adulte alors ?

– Effectivement, cela aurait été bien plus simple ! Mais non, tout cela était proprement impossible, car contraire à Ses Lois parfaites. Je suis donc né comme toi, d'un père et d'une mère terrestres, j'ai grandi comme toi, de bébé à adulte, et j'ai vécu une vie d'homme comme toi, connaissant la joie comme la peine, la faim comme la soif, la fatigue, la souffrance... N'était-ce pas de toute façon indispensable pour que je puisse vous comprendre, afin de pouvoir vraiment vous aider ?

Tout cela me semblait frappé au coin du bon sens.

– Pas de conception immaculée, donc !

– Si.

– Hein ? Alors là, je ne comprends plus !

– Réfléchis... Comme pour beaucoup de passages dans la Bible, tu dois chercher à le comprendre dans le sens spirituel, pas dans le sens physique. Il y a une part de vérité à la base des dogmes... Quelle serait-elle ici, si tu veux bien te placer dans l'hypothèse que j'étais l'incarnation de l'amour divin ?

– Ah ben oui ! Pour te concevoir, la relation sexuelle entre tes deux parents devait elle aussi résulter d'un pur et bel amour entre eux deux.

– Exactement. L'instinct sexuel n'y jouait qu'un rôle secondaire. Sinon je n'aurais pas pu m'incarner ensuite dans le petit corps que portait Marie, faute d'affinité vibratoire suffisante...

Je n'avais jamais vraiment réfléchi à la question avant, mais cela résonnait profondément en moi. Ça, c'était de l'éducation religieuse qui me parlait !

– N'oublie jamais que la Vérité, donc le savoir véritable, réside toujours dans la plus naturelle simplicité, afin de pouvoir être compréhensible et reconnue par tous dans une pleine conviction, et non dans une foi aveugle. Le Langage de Dieu est Logique ! Tout est logique dans la Création ! Il ne devrait ainsi pas y avoir d'opposition entre la science et la religion. Par sa quête de connaissance des lois de l'univers, la science n'est en réalité que le désir de se soumettre à la Volonté de Dieu !

– Waouh !

– Veux-tu appliquer cette nouvelle compréhension à d'autres épisodes de ma vie ?

– Oui. Je veux bien te parler de tes miracles. Bon, les nombreuses guérisons de possédés, de malades ou d'handicapés physiques, je les conçois sans peine, de par le puissant magnétisme qui devait être le tien, mais ressusciter les morts...

– Écoute ton intuition, ton bon sens, et même ta raison ! Repense aux Lois dont nous avons parlé. Un mort peut-il ressusciter ?

– Non. Mais toi tu es bien ressuscité !

– Moi, c'est un peu particulier, et différent. On verra plus tard. Restons-en à mes miracles, comme la résurrection bien connue de Lazare par exemple. Un mort ne peut pas ressusciter, soit. Mais ce serait trop facile d'écarter alors ces récits d'un revers de la main. Comment pourrais-tu les considérer comme vrais malgré tout ? Comment pourrais-tu les accepter, sans pour autant tomber dans une aberration par rapport aux Lois de la Vie ?

– Heu... ils n'étaient pas vraiment morts ? Pas encore morts malgré les apparences ? La médecine moderne de réanimation n'existait pas à l'époque, on pouvait sûrement facilement confondre coma et mort... Donc tu serais intervenu à un moment où c'était encore réversible ?

– Oui. Ils seraient morts sans mon intervention, mais ils n'avaient pas encore franchi le point de non-retour. Sache que dans tous les cas de résurrection rapportés dans les Évangiles, la soi-disant mort venait de se produire. Cela ne faisait pas plus que quelques jours, quatre jours pour Lazare. Or il y a quelque chose qui est de plus en plus connu grâce à l'ésotérisme ou de par les médiums. As-tu entendu parler du cordon d'argent ?

– Ah oui ! C'est ce qui relierait notre corps subtil, donc aussi notre âme, à notre corps physique. On en parle dans les témoignages de voyage astral ou d'expériences de mort imminente (NDE)... Lorsqu'il se rompt, l'âme se sépare définitivement du corps. Ah, j'ai compris ! C'est là le point de non-retour, la vraie mort définitive ! Avant cela, c'était encore possible pour toi d'inviter l'âme à réintégrer son corps !

– Oui. Si l'état du corps physique le permettait encore...

Je restai silencieux un moment pour intégrer ces révélations. Fasciné par cette lumineuse simplicité au final, aucun mysticisme, juste les Lois naturelles en action. Bon, je me disais quand même que ressusciter les quasi morts n'était pas donné à tout le monde... Si cela s'était vraiment produit, Jésus devait être quelqu'un hors du commun !

Il se faisait tard, le parc allait fermer, mais une question me brûlait les lèvres.

– Et ta résurrection alors ?

Il me regarda en souriant. Il attendait cette question bien sûr.

– Qu'en penses-tu ?

– Tu as été torturé, puis crucifié, tu es bien mort sur la croix ! Personne dans un corps terrestre ne pouvait physiquement survivre à cela.

– Donc ?

– Donc tu ne peux pas ressusciter physiquement ! Encore moins « monter au Ciel » avec ton corps physique !

– Impossible selon les Lois.

– Mais tu vas me dire que tu es quand même bien apparu aux disciples après ta mort ?!

– Oui. Et c'était bien après ma vraie mort ! Ce n'est pas pour rien que j'avais annoncé aux disciples que je reviendrais de la mort à la vie au bout de trois jours... donc une fois le cordon d'argent rompu.

– Alors là ! Je sèche...

– Il y a une chose très frappante qui est clairement dite dans les Évangiles de Luc et Jean. Ceux qui me voyaient ne me reconnaissaient pas immédiatement ! Pourquoi donc ? En quoi n'avais-je pas mon apparence habituelle ? Mieux, j'apparaissais subitement aux disciples même dans des pièces fermées à clef ! Je devais donc pouvoir traverser les murs...

Je restai interloqué quelques secondes.

– Tu veux dire que tu es revenu comme... un fantôme ?!

– En quelque sorte, me répondit-il en riant. Mais je préfère dire que, débarrassé de mon corps de matière la plus dense, j'apparaissais alors uniquement avec mon corps de matière subtile. C'est le processus spirituel normal de la mort, conforme aux Lois de la Nature, même si une telle manifestation visible n'est pas donnée au commun des mortels. Je conservai cette enveloppe subtile jusqu'à ce que je doive la quitter, elle aussi, pour pouvoir continuer mon ascension vers le Haut, prendre le chemin du retour vers la Lumière...

J'étais fasciné. Cela m'apparaissait si clair, si évident ! Cela me donnait une tout autre perspective dans mon rapport avec la religion chrétienne. Dans cette simplicité si naturelle, ainsi débarrassée de toute la fantasmagorie qu'on lui avait fait porter, la vie de Jésus se révélait à moi encore plus grande, et belle, qu'en voulant lui prêter du surnaturel. J'avais envie maintenant de l'approfondir, et je me promis de me plonger dans les 4 Évangiles en cette fin d'année.

Comme s'il avait lu dans mes pensées, Jésus me dit alors :

- N'oublie pas que l'essentiel est la Parole que je portais. Le Message que j'apportais est plus important que ma vie terrestre elle-même, même si bien sûr j'ai vécu ce que j'ai dit, allant jusqu'à me sacrifier pour en sceller la vérité... Ne laisse jamais le messager te distraire du message !

La nuit tombait ; le parc fermait. Je le remerciai pour cet échange si riche. Il me souhaita un joyeux Noël et s'éloigna tranquillement. Je me réjouissais de le retrouver le lendemain.

Mais le lendemain, il n'était plus là ! Ni le surlendemain. Ni encore le suivant. Je ne l'ai plus jamais revu... Après une forte déception - il restait tellement de questions que j'aurais aimé lui poser -, je ressentis que c'était maintenant à moi, grâce aux Clefs qu'il m'avait données, de continuer, seul, à chercher, pour trouver les réponses aux questions essentielles qui me taraudaient.

C’était à mon tour de suivre Jésus.

 

Jérôme Lemonnier

 

 

Publication originelle :

Présences Magazine n°20 - Décembre 2020

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