14-humilité


Écrire une chronique sur l'humilité, voilà bien une entreprise osée, qui m'expose à la critique "suis-je assez humble pour parler de l'humilité?". Et effectivement, peut-on vraiment un jour s'estimer "assez humble" pour quelque chose, sans faire par là même encore preuve d'orgueil ? La véritable humilité est vivante ! Et de ce fait, elle ne peut jamais être définitivement considérée comme acquise, on ne peut jamais en être assuré ou s'en targuer à l'avance ; elle se gagne et se prouve pour soi-même à chaque instant. 

Je ne peux donc affirmer ici avec certitude qu'une chose : je suis plus humble aujourd'hui que je ne l'étais.

Il y a à la fois de la honte et de l'effroi quand je me remémore certains moments de ma vie où, imbu de mon savoir supposé, je donnais sans en avoir conscience des "leçons de sagesse" à la première occasion donnée. J'avais la Vérité, je possédais LA Vérité, donc je SAVAIS !

Cette certitude de savoir est la pire chose, je crois, qui puisse emprisonner - et empoisonner - un esprit humain ! Car elle fige l'être. Restreint son horizon intérieur à seul ce qu'il croit savoir, telle une visière de casquette empêchant de voir au-dessus d'elle ; il devient alors incapable d'appréhender quoi que ce soit au-delà de cet horizon-visière, pire il en niera même l'existence s'il lui en est parlé par d'autres ! Il se coupe alors du Nouveau indispensable et essentiel à l'évolution intérieure, passe en stagnation, et donc inévitablement ensuite en régression...

Cette certitude de savoir est une prison ! Cela, l'intellect ne le comprendra jamais, lui qui ne recherche, ne se nourrit et ne se complaît que dans les certitudes, des choses figées et sans nuances qu'il peut appréhender et qui le rassurent - qui lui permettent aussi, et surtout, de garder le contrôle sur l'être. Mais ce qui est figé ne peut jamais être vivant !

Je confondais ainsi pseudo-savoir intellectuel, figé, mort, avec le véritable savoir qui ne provient toujours que de l'expérience vécue ; pas vécue par d'autres, pas rapportée par d'autres, mais de ma propre expérience vécue. Elle seule valide la connaissance authentique !

En guise d'hygiène intellectuelle de base, on peut donc tout simplement se demander, avant de propager plus loin quelque chose qui ne nous appartient pas :

"Est-ce vrai ?" - "Suis-je absolument sûr que c'est vrai ?"

Si la réponse est non, et que j'aspire en tout à rester vrai avec moi-même, je me dois alors de m'abstenir, ou pour le moins d'y mettre des bémols personnels en tant que savoir de seconde main, plutôt que de le transmettre en prétendant ou laissant entendre que c'est vérité. Je peux parfois sinon participer à alimenter une chaîne de mensonge, voire de manipulation, au lieu de l'interrompre à mon niveau, et, ce qui est grave alors, être responsable de ceux que cela induira en erreur dans la chaîne après mon maillon ! Cet esprit de sobriété intellectuelle me paraît particulièrement fondamental en ce temps actuel, où l'on croit qu'il faudrait avoir un avis sur tout pour en débattre à qui mieux mieux, alors que cette croyance contribue à nous maintenir esclave intérieurement, mentalement.

« Tant que nous restons coincés dans ce que nous pensons savoir, le monde demeure étroit et la vie est vécue dans une souffrance apparente. » (Byron Katie)

Cette "souffrance apparente" l'est en général d'abord bien plus à notre entourage qu'à nous-même ! Nous sommes tendus, revendicateurs ou susceptibles, attachés à ce que nous croyons et à ce que nous soyons crus... mais nous n'en avons pas conscience nous-même tant que nous restons identifiés à nos pensées. Le critère le plus infaillible pour déterminer si nous sommes libres ou esclaves de nos pensées est toutefois simple : c'est le fait, ou non, de toujours VOULOIR AVOIR RAISON !

Si je vois que je n'accepte pas que l'autre ait un avis différent du mien, si je vois que je ne veux rien lâcher (preuve donc bien que je suis attaché) tant que l'autre ne se range pas à mes vues, si je vois que je veux toujours avoir le dernier mot, je prouve par là mon identification, ma dépendance et mon esclavage à ces pensées que je défends !

Mais il est alors aussi impossible que je n'en souffre pas !

C'est cette souffrance qui m'a permis de me détacher petit à petit de mes pensées et de prendre conscience de combien j'étais attaché à protéger ce en quoi je croyais. Lorsque je me lançais dans un débat sans fin avec quelqu'un d'aussi attaché que moi à ses conceptions, je sentais bien au début l'excitation, le plaisir, la forme de jouissance dans la confrontation... dus à la stimulation purement mentale et au sentiment de renforcement énergétique de mon identité égotique (mon "moi, je..."), mais au bout d'un moment, dans la stérilité du débat intellectuel (si différente de la richesse d'un partage d'expérience vécue), cela m'énervait, cela me frustrait, cela m'usait, cela me pesait... cela me coûtait ! J'étais tiraillé puis écartelé entre mon désir ardent, bien localisé dans ma tête, de prouver à l'autre que j'avais raison et qu'il avait tort, et mon aspiration profonde, de plus en plus implorante en moi, à retrouver la paix intérieure d'un mental désencombré, épuré, calme.

Être capable de conscientiser ce RESSENTI de malaise en soi est une étape cruciale et déterminante pour le réveil hors de l'ego et pour l'évolution intérieure. Je comprends alors qu'une crispation intérieure, quelle qu'en soit l'origine, représente une crispation dans mes enveloppes, donc une densification de mes corps subtils, donc une pesanteur de mon être global. Or, de par ma nature spirituelle, j'aspire à ce qui est élevé, donc léger. Si je me sens lourd du fait de quelque chose, c'est que ce quelque chose me tire vers le bas, n'est donc ni bon ni sain pour moi ! (Car il ne s'agit pas là de simples impressions, mais de processus spirituels réels.) Lorsque cette prise de conscience a eu lieu par le ressenti, il devient alors possible de pouvoir s'en détacher, car le lien nocif pour soi a été révélé et identifié. Et lorsque ce lien est enfin rompu, quelle libération alors, quel sentiment de légèreté ! Vous ne doutez plus alors du caractère vampirisant que constituait auparavant votre connexion aux formes-pensées à l'origine de la crispation...

C'est ainsi que, plus j'abandonne toute prétention à croire savoir, toute présomption à mieux savoir, plus je me défais de mes chaînes et de mes boulets. Plus je gagne en humilité, plus je gagne en liberté ! L'humilité EST liberté !

Je peux alors mieux comprendre la sagesse de ce vieil adage attribué à Socrate, selon lequel "je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien". La vraie connaissance est humilité ! Ce n'est pas le savoir au sens habituel qui libère, c'est la vérité uniquement qui nous rend libre. C'est-à-dire ce qui est intimement vrai et réel, ce qui seul est ressenti vivant ; donc ce qui est vécu, pas ce qui est appris (ou imaginé, ou pensé). Vécu personnellement, en nous et par nous ! Une affaire de Cœur, pas une histoire de tête ! Et, en vue d'avancer sur ce chemin de vérité...

... sans l'humilité, il me manque TOUT.