15-le mouvement spirituel


Dans les milieux spirituels d’inspiration orientale, on parle beaucoup d’éveil spirituel. C’est le nec plus ultra pour le chercheur, l’objectif ultime à atteindre, celui qui lui permettra de vivre de façon constante la félicité de sa véritable nature, libéré de l’ego, donc délivré des tourments de son âme et de toute souffrance liée à sa nature humaine. Ah, atteindre ”l’illumination” ! Devenir soi-même un bouddha, un ”éveillé”, libre de tout karma et donc du cycle des réincarnations ! Je l’avoue sans honte, j’ai moi-même longtemps cherché cet ”éveil spirituel”, dont je voulais qu’il règle en un tournemain tous mes problèmes de souffrance intérieure... et cette quête, malgré ses erreurs conceptuelles, m’a beaucoup fait progresser et apprendre sur moi, jusqu’à ce qu’elle me mène à une impasse.

Aujourd’hui, je suis convaincu que, même si la différence peut paraître subtile, le plus important à rechercher n’est pas tant l’éveil spirituel que le mouvement spirituel ! Je rejoins en cela un très cher ami à moi, qui ne cessait de m'en parler et de m'en vanter les mérites pendant mes années d'errance et de souffrance. "Jérôme, le mouvement intérieur ou spirituel est la réponse à tout, me disait-il en substance. Si vous vous mettez en mouvement spirituellement, tout s'éclaircira, se dénouera, se libérera. Il n'y a rien de plus puissant que cela !" Mais en même temps, à son grand regret, il se sentait démuni et impuissant à m'exprimer plus précisément que par l'expression "donner-actif" en quoi constituait ce mouvement spirituel. Aujourd'hui où, par l'expérience vécue, en comparant mon "avant" et mon "après", je crois commencer à saisir un peu plus ce qu'il voulait me pointer, j'ai envie de relever ce défi ici !

Je dois tout d'abord dire qu'il en est du mouvement spirituel au contraire de la notion commune déformée d'éveil spirituel, qui suggère une transformation à un moment donné, et après il n'y aurait plus rien à faire. En ce qui concerne le mouvement spirituel, il n'y a jamais de fin, pas de limite... C'est toujours dynamique, pas statique, et c'est en cela que je trouve aussi cette notion plus adaptée, car elle se cristallise moins facilement sur un aboutissement ultime. Une fois un tant soit peu en mouvement, je dois rester en mouvement, alors qu'une fois "éveillé" je peux enfin me reposer sur mes lauriers ! C'est en tout cas ce que la notion actuelle suggère à l'intellect.

Qu'il soit bien clair que je ne prétends aucunement être à un niveau élevé de vibration spirituelle, oh que non ! Je ressens au contraire très bien que je suis encore bien loin d'un potentiel satisfaisant. Mais je peux déjà témoigner ici par mon vécu de la nette différence ressentie entre le fait de ne pas être en mouvement intérieur et le fait de s'être mis un tant soit peu en mouvement, de s'être réveillé de la léthargie spirituelle. Comme quelqu'un qui sait qu'il ne dort plus, mais qui ne mesure pas encore pleinement l'étendue possible de son réveil.

Qu'est-ce donc que le mouvement spirituel ? Le mouvement de l'esprit, considéré là comme le noyau de l'âme.

La première chose essentielle est qu'il ne doit surtout pas être confondu avec le mouvement intellectuel. Cela n'a absolument rien à voir ! Au contraire, du point de vue de l'intellect ou du mental, le mouvement spirituel s'apparente même plutôt à un non-mouvement, puisqu'il ne met pas en jeu l'intellect ! Donc sans intérêt pour lui. Qu'il ne va non seulement pas rechercher, mais même fuir constamment, préférant les objets mentaux, distractions ou divertissements qui le stimuleront lui. Cela est évidemment dû au fait que l'intellect, de par sa nature, demeure toujours lié à l'espace et au temps terrestres, contrairement à l'esprit, et qu'il sera de ce fait toujours incapable de concevoir ce qu'est le mouvement de ce dernier.

Celui qui est "accro" au mouvement intellectuel, attaché constamment au (fait de) penser et à ses pensées, ne pourra donc jamais appréhender ni vivre le mouvement spirituel, tant qu'il n'aura pas pleinement pris conscience, en général par une forme de souffrance, de sa servitude. De même, évidemment, le simple fait de se référer à un "savoir spirituel" n'est pas du tout suffisant pour en avoir le mouvement automatiquement !

Par contre, si l'esprit-âme s'active, l'esprit-mental se met alors au service du premier - ou mieux dit il y est contraint. Finies alors les ruminations ou exaltations mentales, finie la quête incessante - et épuisante - de nouvelles informations pour s'en stimuler les neurones (peu importe leur valeur ou non, l'important pour l'intellect étant de toujours avoir du grain à moudre afin de garder l'emprise sur l'être), fini le fait de se définir par ce que l'on pense et croit savoir, esclave volontaire et fier de ses pensées ! L'une des caractéristiques de la reprise en main spirituelle est justement la cure de désintoxication mentale qui s'opère alors rapidement, car il ne peut y avoir qu'un seul maître : l'esprit ou l'intellect. Or c'est uniquement lorsque le mental n'est pas tenu en bride par l'esprit qu'il en vient à se complaire dans ses pensées, voire dans ses projections mégalomanes ou paranoïaques, dans ses jugements ou ses fantasmes ! L'énergie non utilisée par l'esprit endormi se trouvant détournée et dévoyée par l'intellect.

Quand l'esprit reprend les rênes, il n'y a plus besoin de ces pis-aller pour se sentir exister ; c'est la fin de l'aveuglement des pensées et de la fausseté des jugements, de la méfiance généralisée et de la psychorigidité. Quand l'esprit est aux commandes, la chaleur du cœur remplace la froide sécheresse du mental bonimenteur. L'humain étant fondamentalement esprit, c'est le mouvement spirituel qui crée la chaleur humaine (le mouvement intellectuel ne créant, lui, que de l'agitation cérébrale) ! Un être véritablement spirituel ne peut pas être un être froid, dur, toujours dans le jugement, pétri de certitude, bref manquant d'amour pour lui-même et par extension pour son prochain. Je le sais, j'ai été un tel homme...

Tel que je le ressens actuellement, à mon niveau intérieur du moment, être mobile spirituellement c'est déjà être OUVERT à ce que je vis (et encore une fois, je ne prétends pas du tout l'être à plein temps ni à pleine capacité). Car cela se saurait si la fermeture d'esprit était un gage d'évolution personnelle...

Il y a donc un ACCUEIL. Pas un accueil passif, uniquement jouissant (plaisir du viveur), mais un accueil actif, où je me donne, où je donne de moi (plaisir du vivant).

Il y a donc une ÉCOUTE. Avec une bienveillance et une disponibilité préalables, du fait de l'absence de filtre pré-jugeant, en conséquence de ma tête "vide" ou relativement vide (pensées en arrière-plan, et non plus accaparant au premier plan toute ma conscience).

Il y a donc une PRÉSENCE à ce-qui-est-là. Une présence attentive, mais sans être crispée dans l'attention (pas de concentration, pas de "pleine conscience" au sens d'une quête de super-conscience où je voudrais être conscient de tout). C'est une attention détendue, non contrainte, libre, car ne projetant rien et sans attente - positive ou négative. J'ai longtemps souffert de la conscience que j'avais d'être séparé de mon environnement comme par une vitre transparente qui m'empêchait de goûter vraiment la vie autour de moi, et particulièrement celle de la nature. Cette vitre était celle de mon filtre mental qui, en les atténuant considérablement, me coupait préventivement des impressions extérieures par peur d'en être blessé. Ce filtre n'est plus là aujourd'hui. Si je dois me protéger de certaines choses, j'en suis avisé par mon ressenti et m'adapte en conséquence, mais cela se fait naturellement de par la mobilité intérieure, et toujours de manière sélective et proportionnée, alors que le filtre mental précédent me tenait à l'écart de toute vie véritable.

Qui dit présence dit aussi PRÉSENT ! La véritable présence est effectivement une constante présence au présent - et même au présent (cadeau, don) du présent ! Car le présent est tout ce qu'il reste lorsque je ne vis plus ni dans le passé ni dans le futur, ni dans les pensées sur moi ni dans les pensées sur les autres, mais que je me replace, nu, au "centre de moi-même", là où, en tant qu'esprit, je suis libre des limites du temps et de l'espace, là où je ne suis plus soumis à l'intellect, qui est incapable lui de vivre le présent, incapable de se satisfaire d'être juste là, totalement Ici & Maintenant (voir "Le pouvoir de l'Ici & Maintenant"). C'est pourquoi il est en fait plus facile de chercher d'abord le non-mouvement intellectuel plutôt que de vouloir chercher directement le mouvement spirituel, car sinon cette quête sera récupérée par l'intellect qui y appliquera ses stratégies habituelles, totalement inadaptées et inopérantes dans ce cas.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître pour l'intellect, pour lequel ce centre du présent s'apparente à un point d'immobilité sur l'échelle des temps, rester ouvert et connecté au présent demande, exige pour s'y maintenir une constante mobilité intérieure, un état de VEILLE de tous les sens de l'être, intérieurs et extérieurs ! Un tel état dynamique s'avère bien plus difficile au début, bien plus exigeant que le simple et seul mouvement intellectuel des pensées, le plus souvent en mode totalement automatique et conditionné. Mais c'est ainsi seulement, lorsque je me donne activement et totalement à ce présent, et uniquement à ce présent, que je peux vraiment trouver la riche expérience vécue spirituelle ! Celle à laquelle chacun aspire au plus profond de son être, celle qui fait mûrir et évoluer, celle qui reste à jamais gravée en nous et qui ainsi seule donne en retour l'impression de vivre vraiment !

Il est beaucoup plus facile de parler du mouvement intellectuel que du mouvement spirituel, puisque les mots sont liés à l’intellect, mais lorsqu’on a commencé à se réveiller spirituellement, on le sent ! On ne sait pas bien le décrire, mais on le sent ! On le sent, car c’est très différent du mouvement ronronnant auquel on était habitué jusqu’alors, et qui n’était que le mouvement intellectuel, le mouvement du mental. Le mouvement spirituel est à la fois plus doux, plus léger, plus profond...

Enfin, qui dit mouvement spirituel dit aussi CONNEXION spirituelle ! Surtout n'y voyez là aucun faux mysticisme, cela n'a rien à voir avec les images que l'on s'en fait du type "channeling" ("canalisation"), qui ne relèvent pas du tout pour moi d'une telle connexion. Mais il me faut bien reconnaître et oser affirmer, lorsque je me sens en réel mouvement intérieur, qu'il y a une conscience intime de connexion à... "quelque chose"... quelque chose d'indescriptible, car bien au-delà du mental, mais de profondément vivant... Source pour moi de force et de joie. Source de mon propre mouvement intérieur de vie. Ce que j'appelais "Ça" dans ma chronique n°2, et qui me paraissait si loin à l'époque, juste une aspiration, alors qu'aujourd'hui je sens qu'un Lien s'est réellement créé... À moi de l'entretenir sans cesse !

Ce mouvement spirituel étant le seul mouvement vivant (qui porte la vie en lui, et non comme un simple sous-produit), chacun peut travailler à voir et ressentir à quels moments de sa vie il se sent vraiment ainsi vivant intérieurement (pas intellectuellement, mentalement ou senti-mentalement), pour ensuite s'attacher à nourrir et faire durer de plus en plus en lui la vibration intime correspondant à ces instants essentiels. Car la vie propre à l'esprit vie-vifie. Toujours. La vie de l'esprit adoucit, elle n'exalte pas. La vie de l'esprit dynamise, elle ne fatigue pas. La vie de l'esprit épanouit, elle ne sclérose pas. Dans le cas contraire, ce n'est pas la vie de l'esprit, c'est l'intellect à sous-vie !

La vraie vie humaine ne peut être que celle de l'esprit, mobile et conscient. Pleinement vivant et se donnant. Joyeux et heureux en retour.