13-prise de tête


J'ai longtemps eu l'impression que ma vie entière n'était qu'une succession d'efforts inutiles et de vaines tentatives pour me libérer de ce qui me "prenait la tête".
J'aime cette expression - même si je déteste ce qu'elle représente. Je trouve qu'elle est parfaite pour décrire un phénomène mental certes, mais qui n'en reste pas moins quasi physique pour moi, et j'en suis sûr aussi pour tous ceux qui ont conscience d'en souffrir. Je ne doute pas d'ailleurs qu'à un niveau invisible, sur des plans de matière plus subtile, cette expression désigne une réalité : la tête comme dans un étau, étouffant et suffoquant sous l'oppression de pensées sauvages et déchaînées.  Car quand le "petit vélo" dans la tête tourne à plein régime, que les pensées s'entrechoquent, se répondent, se battent, rivalisent pour occuper le centre de l'attention, en une rumination incessante et infernale, que reste-t-il comme espace pour le reste ? Rien. C'est comme un gouffre qui mobilise et absorbe toute l'énergie de façon unilatérale, ne laissant plus que des miettes de claire conscience, insuffisantes, trop faibles en force pour empêcher un replongeon constant dans cette activité cérébrale épuisante et spirituellement mortifère... Oui, c'est sûr, les pensées ont bien une certaine matérialité (matière grossière de faible densité), sinon elles n'auraient pas autant de pouvoir.

Une fois dedans, une fois "pris par la tête", il peut être très difficile de s'en extraire. Les moyens pour ce faire sont pourtant relativement simples sur le principe, et j'en ai déjà parlé : sortir à l'air libre, revenir aux sens, prendre conscience de soi-même, se placer à l'arrière du crâne, s'ancrer dans le silence..., soit tout ce qui "sort de la tête" ; mais même en connaissant ces remèdes, encore faut-il avoir la force de les mettre en œuvre... Or, quand toute l'énergie est mobilisée et absorbée par le mental, il n'y en a plus assez pour déclencher une autre dynamique intérieure. Le manque de force spirituelle, allié à l'inertie nerveuse de l'intellect, condamne la plupart du temps à l'échec toute tentative de sortie "par le haut". La lutte contre le mental étant toujours stérile en cas de crise de prise de tête, il faut alors accepter de ne plus lutter contre, de renoncer au combat, d'abandonner la lutte... Temporairement, le temps de recouvrer des forces. Perdre des batailles, sans renoncer à gagner la guerre ultimement.

Concrètement, cela signifie choisir le moindre mal. Pour une remise à zéro mentale, pour relâcher la pression mentale et nerveuse, il vaut encore mieux accepter de se "vider la tête", devant la télévision ou un jeu vidéo par exemple, plutôt que de continuer à s'épuiser spirituellement dans la rumination intérieure. Et si cela ne suffit pas ou que même cet effort paraît trop grand, je vous donne un remède radical pour repartir à zéro, totalement sain et inoffensif : le SOMMEIL ! Si la prise de tête est trop forte et assourdissante, allez-vous coucher et dormez tout votre soûl si besoin, jusqu'à ce qu'à un réveil vous vous sentiez un peu mieux. À une époque de ma vie, je pouvais dormir jusqu'à 18 heures par jour pour échapper à ma morne et oppressante "vie sous mental" ! Cela ne réglait fondamentalement rien à mon mal-être et à ma dépression chronique, mais me procurait temporairement une détente mentale "par le bas", par et grâce au corps.

Pour aller plus loin, il est nécessaire de prendre conscience que "être dans sa tête" est une addiction, une addiction largement répandue mais tout aussi préjudiciable pour l'être spirituel que l'addiction aux jeux, au sexe, aux écrans... et même à certaines substances (tabac, alcool, drogues...), toutes ces dépendances n'étant en vérité que des manifestations de cette addiction fondamentale au mental, soit comme conséquence directe soit comme tentative d'y échapper. Il me faut avoir le courage de reconnaître combien j'aime, en temps normal et général, être dans ma tête ! J'aime les impressions que j'en retire, j'aime m'y réfugier et m'y définir, j'aime le sentiment de gratification ou de consistance intérieure que cela me donne ! Je dois oser voir combien ce type de stimulation me procure une forme de jouissance, et c'est de cette jouissance dont je suis dépendant.

Je n'aime plus cela uniquement lorsque cela prend des proportions trop importantes, lorsque je me suis trop laissé séduire et happer par la force d'entraînement des pensées ; je peux alors pleinement sentir la puissance de contrôle de mon ego, que je lui ai moi-même octroyée, en même temps que l'oppression intérieure qu'il me génère. Et pourtant j'y reviens, j'y retourne toujours, car c'est plus facile de céder à l'addiction que de me mettre en mouvement intérieur pour générer une stimulation plus forte et positive, capable de supplanter ma faiblesse.

Je dois en premier lieu voir cette tendance en moi, cette susceptibilité : au sens premier, celui d'être susceptible de me laisser prendre par la tête, mais qui crée tout autant une susceptibilité au sens psychologique du terme, car un fort ego, une forte tendance intellectuelle, entraîne évidemment un amour-propre très sensible (que celui-ci s'exprime extérieurement ou reste secret intérieurement).

Le travail intellectuel en tant que tel n'est bien sûr pas malsain, il est nécessaire à la vie terrestre. Le problème vient quand il occupe toujours en moi le devant de la scène, occultant et empêchant ou filtrant une expression chaleureuse, véritable et authentique, de mon être. Quand je sens que je reste "en circuit fermé" dans le mental, ne produisant rien de promoteur vers l'extérieur, n'étant que mon propre consommateur d'autosatisfactions ou fulminateur d'autofrustrations, je sens bien que je me limite, que je n'exprime pas mon plein potentiel, qu'être au seul service de moi-même ne m'épanouit pas, mais au contraire me sclérose et m'atrophie. L'amour-propre est impropre à l'amour.

Alors je dois comprendre que je ne peux garder le "j'aime" sans avoir aussi à un moment ou à un autre le "je n'aime pas", car les deux sont liés et indissociables, comme les deux faces d'une même pièce. Pour m'en sortir, je dois m'élever au-delà des deux, sinon je continuerai toujours à osciller entre les deux. Cela signifie sortir du mental. Déconstruire toute la fausse identité que je me suis définie à partir de lui. Voir que je ne suis pas que ce que mes pensées me font croire. C'est la seule issue et la seule voie qui met un terme à la souffrance, car TOUTE SOUFFRANCE VIENT DU MENTAL ! (D'ailleurs, non seulement toute souffrance intérieure pour soi, mais également tous les maux extérieurs pour l'humanité ! Tout MAL vient du MentAL ! Plus précisément : de l'addiction au mental, autrement dit la domination de l'intellect sur le cœur de l'homme ; c'est cela le "péché originel" et le péché héréditaire, c'est cela l'origine du mal, intérieur ou extérieur.)

Avoir réussi pour moi-même à considérablement relâcher la pression du mental dans ma vie, donc avoir perdu en orgueil et préjugés, et gagné en ouverture au monde et humilité, est ce que j'ai eu de plus dur à accomplir dans ma vie. J'ai l'impression que mon ego a été passé au broyeur de l'Esprit, désagrégeant sans répit et avec minutie tout grain de vanité voulant subsister ! Maintes et maintes fois j'ai voulu m'arrêter, croyant que c'était bien assez, mais à chaque fois que je voulais m'en contenter, la souffrance intérieure et le désespoir revenaient me tarauder. Je n'avais pas le choix si je voulais être libre, il me fallait aller jusqu'au bout... Et puisque de toute façon je souffrais le martyre, qu'avais-je à perdre de retourner dans le broyeur d'ego ? J'ai eu la chance de souffrir suffisamment pour ne pas m'arrêter en cours de route...

Ce fut long, difficile, douloureux (à la mesure de la force de résistance de mon mental), mais salutaire et salvateur. Oh, je ne prétends pas être libre de tout ego, il m'en reste bien sûr, mais je me sens tellement plus léger aujourd'hui, dégagé de toute cette oppression et tyrannie du mental. Surtout, j'ai tellement appris sur le fonctionnement de l'ego durant ce processus de clarification du mental que, pour ce qu'il en reste, je n'en suis plus dupe. Il peut toujours me causer, mais il ne me capture plus ! Je ne suis plus son prisonnier.

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Dans cette chronique, j'ai surtout posé les symptômes et le diagnostic.

Dans les prochaines, j'aborderai plus en détail certains processus de "désenvoûtement" de l'emprise du mental sur l'être.

 

P.S. : Je l'ai finalement surtout développé dans le cadre de mes textes écrits pour Présences Magazine.